lundi 3 février 2014

Vitesse - Pulsion de vie, passion de mort

Je n'ai jamais su m'expliquer ça mais aussi étonnant que ça puisse sembler, la vitesse en voiture ne m'a jamais fait peur. Je me revois enfant assis derrière mes parents alors que nous allions voir mes grand-parents, je regardais la route mais je ne regardais pas les paysages, j'imaginais des trajectoires et les vitesses auxquelles on pourrait passer les courbes... La route défilait, plus ou moins lentement, plus ou moins rapidement. Je crois que j'ai toujours eu une profonde fascination pour la vitesse.

Je suis aujourd'hui conducteur et c'est moi qui, aujourd'hui, vois défiler la route plus ou moins lentement, plus ou moins rapidement. Il m'arrive parfois de rouler normalement, sans forcer la cadence, de me promener. Mais, parfois, je ne saurais pas l'expliquer mais je sens ma gorge se nouer totalement, l'horizon n'existe plus, le temps n'existe plus, les distances n'existent plus. Je suis là, dans ma voiture et je vois les virages qui me font face. Je suis absolument seul, il n'y a que moi et ma voiture et la route.

Une ligne droite précède un virage qui précède une ligne droite qui précède un virage... Mais à ce moment-là, il n'existe plus pour moi que des temps pendant lesquels je vais soit accélérer jusqu'au moment où, d'instinct, mon pied droit va sauter sur la pédale de frein, mon pied gauche sur la pédale d'embrayage, ma main droite sur le levier de vitesse, soit freiner de toutes mes forces jusqu'à ce que je puisse prendre le virage que j'aborde. J'entends le moteur rugir. Je suis là, dans ma voiture et j'entends son moteur qui rugit. Je suis absolument seul, il n'y a que moi et ma voiture et son moteur.

Je suis toujours fasciné par cette musique et je crois que je ne me lasserai jamais de l'entendre. Cette musique, drôle de musique, agit bizarrement en moi. Plus j'accélère et plus ma gorge se noue. Je sens monter en moi une rage folle et cette folie furieuse se déchaine littéralement au moment où je rétrograde... Tous les sentiments que j'ai en moi se confondent alors. Mon cœur pleure de joie et cette furie furieuse qui me noue la gorge plus fort qu'un nœud coulant serre la gorge d'un pendu me rend follement heureux. Je suis là mais je n'existe plus.

Aussi étonnant que ça puisse sembler, je suis toujours aussi partagé entre deux désirs contradictoires lorsque je ressens cette sensation qui me pousse à conduire de plus en plus vite, celui de parvenir à passer le virage qui me fait face et rentrer chez moi et celui de ne pas y parvenir et ne pas rentrer chez moi. Ce jour là, j'espère partir seul. La vitesse est ma seule maitresse et c'est avec elle que j'espère finir mes jours sans emmener qui que ce soit avec moi.

Je n'ai jamais su m'expliquer ça mais aussi étonnant que ça puisse sembler, la mort ne m'a jamais fait peur.


Nicolas Lechner
Mars 2013

Note : Ce témoignage est fictif. Toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé serait purement fortuite.

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